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3 août 2014
Notre vie est un ensemble d’histoires, de souvenirs, de moments et d’événements qui nous font grandir, qui nous forment, qui nous font devenir ce que nous sommes. Avec notre esprit, nous sommes capables de feuilleter les images et les pensées comme dans un album plein de photographies et de films qui immortalisent les moments décisifs de notre vie, ces aventures que nous racontons aux amis, nos histoires personnelles qui font partie de notre patrimoine comme les histoires de famille. Justement, en parcourant l’album de famille, l’une des questions que posent souvent les enfants à leurs parents, celle que j’ai posée aux miens et je suppose vous aux vôtres : « Comment vous êtes-vous connus ? Quand ? Quelle impression t’a-t-il-faite ? Qu’est-ce qui t’attirait en lui ? Comment a continué votre histoire ? »
Un processus semblable se met en marche aussi quand nous parlons d’une amitié qui en son début et en grandissant a changé notre vie – habituellement, on se souvient du moment où on l’a nouée, on garde bien présente en mémoire cette chose particulière et spéciale qui nous a convaincus de nous ouvrir à une personne, de partager notre vie avec elle et de la lui confier (ce que le philosophe français de la Renaissance, Michel de Montaigne en parlant de son ami Etienne de la Boétie, a résumé par cette phrase : « parce que c’était lui, parce que c’était moi »).
Dans l’évangile que nous venons d’entendre, nous voyons comment est née l’histoire d’une amitié entre Jésus et ses premiers disciples, ceux que nous appelons aujourd’hui les apôtres. Ils ont eu la chance de rencontrer une personne spéciale, une personne qu’ils cherchaient depuis longtemps, dont ils ressentaient le besoin pour donner sens à leur vie – ils ont rencontré Jésus. Au début, par respect, ils l’appellent “Maître” et désirant mieux le connaître ils veulent savoir où il habite – et lui les invite chez lui, avec des mots simples : « Venez et voyez ». Cette invitation change radicalement leur vie, ils s’en souviennent encore des années plus tard ; même, comme le dit le texte d’évangile, ils se souviennent de l’heure exacte : il était 4 h de l’après-midi.
Les jeunes accueillent cette invitation et ils en parlent aussi aux autres, devenant ainsi les disciples et compagnons de Jésus et les premiers propagateurs de son Evangile. Ils écoutent les paroles de Jésus, ils deviennent témoins de ses miracles, ils admirent l’amour et la force qui émanent de tout son être, ils reconnaissent avec tous les autres auditeurs que « jamais un homme n’a parlé comme cet homme » (Jn 7, 46). A la fin de leur marche, ils sont tout à fait conscients que Jésus est « le Seigneur et le Maître », et c’est lui-même qui se fait connaître à eux comme « l’Ami véritable » : il ne les appelle plus « serviteurs » mais « amis » car il n’est pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis.
Jésus est venu précisément pour donner sa vie pour tous, pour nous tous, pour tous ses amis. En effet, « Dieu a tant aimé le monde qu’il lui a donné son Fils unique pour que tout homme qui croit en lui ne meure pas mais ait la vie éternelle. Dieu n’a pas envoyé son Fils dans le monde pour juger le monde mais pour que, par lui, le monde soit sauvé » (Jn 3, 16-17). Par le Christ, avec lui et en lui, nous pouvons tous avoir la vie véritable, infinie, pleine de lumière, de joie, de vérité, nous pouvons expérimenter son amitié qui change notre vie.
Jésus s’offre à ses amis et pour ses amis – il le fait de façon inimaginable et incompréhensible – en décidant de mourir pour eux, c’est-à-dire pour nous, sur la croix. Mais son amour ne s’arrête pas sur la croix, au moment de la mort. Au contraire, à ce moment-là, qui pourrait paraître une véritable défaite décevante, Il se révèle comme la source de la vie nouvelle, il devient victorieux du spectre de la mort parce que, comme le chantent les Chrétiens d’Orient au cours de la liturgie pascale, « le Christ est ressuscité des morts, par sa mort il a vaincu la mort ». Ainsi, par sa mort et par sa résurrection, il confirme la véracité de son enseignement, de son message.
C’est pourquoi, lors d’une des dernières rencontres avec ses disciples, l’apôtre Thomas, après l’enthousiasme des beaux moments de la confiance initiale, après avoir traversé la désolation, le doute et l’incrédulité face au mystère et au scandale de la croix, en s’approchant finalement de Jésus ressuscité, ose de nouveau étendre la main vers ses plaies glorieuses, plaies d’amour, et s’exclame : « Mon Seigneur et mon Dieu ! ».
Et Jésus, répondant à Thomas mais s’adressant à chacun de nous, dit : « Parce que tu m’as vu, tu crois ; heureux ceux qui croient sans avoir vu ! » (Jn 20, 28-29).
Cette histoire d’amitié entre Jésus et les apôtres, décrite par l’Evangile, est un modèle pour nous aussi ; nous pouvons tous nous retrouver dans cette histoire, et chacun particulièrement selon son histoire personnelle. Jésus nous rencontre au cours de notre vie, il se retourne vers nous, il nous regarde dans les yeux et nous demande : « Que cherchez-vous ». Il nous appelle même par notre nom en nous disant : « Que cherches-tu dans la vie, toi, Jean, François, Paul, Michel, que cherches-tu, toi, Sarah, Laure, Yvonne, Agnès… ? »
Au début, nous ne savons peut-être pas bien formuler notre réponse. Nous sommes un peu embarrassés et nous voudrions répondre : nous cherchons le bonheur, la joie, une relation, des sécurités. Mais toutes ces réponses partielles pourraient être résumées ainsi : « Je cherche quelqu’un qui m’apprenne à vivre, à vivre bien, je cherche quelqu’un en qui je puisse avoir confiance ».
En effet, toute notre vie, nous cherchons quelqu’un en qui il soit possible d’avoir confiance. Nous sommes prêts à donner notre confiance et, en bons scouts, nous considérons que notre honneur est de mériter confiance. Mais pour pouvoir donner et recevoir la confiance, il est nécessaire de se connaître.
Jésus est prêt à se faire connaître – il nous invite chez lui. Cet appel survient à divers moments, à plusieurs étapes de notre vie, à travers divers passages. Nous recevons sa première invitation au moment de notre baptême, quand nous sommes amenés à la maison du Seigneur dans les bras de nos parents, pour recevoir le signe sacramental de la naissance à la vie nouvelle, celle de l’Esprit.
Ensuite les invitations continuent à arriver à de nombreuses autres occasions. L’invitation la plus significative est certainement l’invitation à sa table. Après la première rencontre avec lui dans le mystère de l’Eucharistie, après cette « première communion », c’est Jésus lui-même qui continue à nous inviter et à nous attendre dans sa maison, dans l’Eglise, pour le rencontrer régulièrement, pour écouter sa Parole, pour devenir de plus en plus unis à lui, en nous nourrissant de lui, de son Corps et de son Sang dans le mystère du sacrement de l’Eucharistie, dans ce Mémorial de sa passion et résurrection qui s’opère à chaque célébration liturgique, notamment en ce moment.
Pour nous affermir, Jésus nous donne Son Esprit, cet Esprit qui nous permet de nous écrier « Abba Père » – en appelant ainsi ce « Dieu caché, Dieu d’Israël », Dieu de l’Ancien Testament, avec ce nom nouveau, à la fois intime et solennel, que Jésus nous a appris : « Notre Père, qui es aux cieux ». Son Esprit, reçu dans le sacrement de la Confirmation, nous rend forts pour devenir des témoins courageux et convaincants de l’Evangile dans le monde qui nous entoure.
Au contraire quand, malgré tous ces dons de la grâce, à cause de notre égoïsme, nous perdons notre axe directeur et que nous tombons dans le péché sur notre chemin, comme le voyageur de la parabole qui est tombé aux mains des brigands, c’est de nouveau Jésus lui-même, comme le Bon Samaritain, qui s’approche, s’arrête, se penche sur nous pour panser nos blessures. En effet, comme le dit le prophète Isaïe, “il s’est chargé de nos souffrances, il a pris sur lui nos douleurs ». Sur la croix, il s’est chargé de nos péchés et « c’est par ses souffrances que nous sommes guéris » (Is 53, 4-5). Jésus peut guérir les plaies de nos péchés en nous ouvrant de nouveau la porte de la maison du Père, cette porte que nous lui avons « claquée au nez » en fuyant loin de lui pour disperser ses dons. C’est ce qui se produit dans le sacrement de la Réconciliation.
A l’éternelle demande de tous ceux qui le cherchent : « Maître, où demeures-tu, où pouvons-nous te rencontrer aujourd’hui ? », nous voyons donc que Jésus répond : « Venez et voyez », vous pouvez me rencontrer chez moi, dans l’Eglise, à laquelle j’ai confié les sacrements, ces signes efficaces et visibles de ma grâce qui sont nécessaires à votre salut ; vous pouvez me rencontrer dans l’Ecriture, où vous entendrez ma voix, vous pouvez me rencontrer dans votre communauté, où vous partagez la vie de foi avec vos amis, parce que « là où deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis au milieu d’eux » (Mt 18,20) ; vous pouvez me rencontrer à chaque fois dans vos frères les plus nécessiteux, les plus « petits », parce que chaque fois que vous faites quelque chose de bien aux plus petits, c’est à moi que vous le faites (cf. Mt 25, 40) ; vous pouvez me rencontrer dans le silence de la prière, dans ce dialogue mystérieux qui ouvre l’âme humaine a l’incommensurable grandeur de Dieu ; vous pouvez me rencontrer dans la voix d’une conscience bien formée et sensible, qui vous invite à faire le bien et à éviter le mal.
En nous retrouvant aujourd’hui pour cette Messe d’ouverture de notre rencontre européenne, accueillons l’invitation de Jésus à le chercher et à le reconnaître comme la Voie, la Vérité et la Vie. Accueillons son invitation à le rencontrer chez lui, dans l’intimité de cette rencontre personnelle qui crée des liens profonds d’amitié. « Venez et voyez ». Jésus adresse cette invitation à chacun de nous en particulier et aussi à nous tous ensemble. Notre rencontre est un exemple illustrant le fait que la recherche personnelle du sens de la vie, la recherche de Dieu, ne peut être vécue seul, comme une expérience intérieure et personnelle, sans dimension communautaire. La foi est d’une part un facteur personnel, mais d’autre part elle a nécessairement une dimension communautaire. Vivre et partager sa foi, telle est la route de la construction du Royaume de Dieu dans le monde d’aujourd’hui. La petite graine doit grandir, la bonne semence doit porter du fruit, malgré tant de risques d’être étouffée et écrasée.
Aujourd’hui, dans la beauté de sa diversité de langues et de cultures, dans le profond mystère de notre union de foi et dans le partage des idéaux scouts, notre rassemblement représente la meilleure réponse à tant de confusion qui accompagne l’histoire de l’humanité blessée par le péché qui afflige encore aujourd’hui la vie de nombreux hommes et continue à mettre en conflit des personnes, groupes, peuples entiers, cultures, religions et divers systèmes sociaux.
La zizanie de la division et de l’inimitié, semée par le Malin, a tenté de nombreuses fois d’étouffer le bon grain de la parole de Dieu semée dans le monde.
Rappelons seulement quelques exemples. Ces jours-ci, nous célébrons le centenaire du début de ce massacre insensé qui est entré dans l’histoire : la première guerre mondiale. Le nom de la région où se déroule notre Eurojam, la Normandie, évoque pour nous une autre étape de cet affrontement dramatique qui a blessé l’humanité entière au cours de la seconde guerre mondiale et qui, à la suite du conflit armé, a conduit par ses conséquences l’Europe à une profonde division idéologique et politique, exprimée de manière drastique et visible avec son rideau de fer, étendu sur l’Europe de l’Est, et avec le mur de Berlin.
Les ténèbres et le manque de lumière ne peuvent toutefois pas régner pour toujours, ni dans le cœur des hommes ni dans la vie des nations. La lumière du Christ dissipe les ténèbres du monde.
Grâce à la réalisation des grands idéaux des Pères d’une Europe nouvelle et unie, ces penseurs et hommes de foi ont valorisé la tradition profondément chrétienne de l’Europe en lançant le projet d’une Europe toujours plus unie.
Grâce au travail inlassable de tant d’hommes bâtisseurs de paix et de fraternité, parmi lesquels on trouve certainement les penseurs de notre mouvement scout, l’Europe n’a cessé de rechercher son identité chrétienne, consciente du devoir de la transmettre aux nouvelles générations.
Grâce aussi à la contribution contemporaine représentée par un leader charismatique de l’Eglise des dernières décennies du 20ème siècle, à savoir saint Jean-Paul II, il y a 25 ans, à partir de la Pologne, le rideau de fer commençait à s’effriter, donnant ainsi naissance à une nouvelle étape de l’intégration européenne dans l’échange des dons spirituels et dans la solidarité sociale entre les diverses composantes de l’Europe.
Aujourd’hui, nous sommes ici réunis, de l’Est et de l’Ouest. Nous nous retrouvons comme des amis, comme des frères scouts, comme des chrétiens. A travers cette rencontre, nous voulons aussi exprimer que chaque scout, fidèle à sa Patrie, est pour l’Europe unie et fraternelle ; conscient de son hérédité chrétienne, il est fier de sa foi ; il travaille à établir le Règne du Christ dans toute sa vie et dans le monde qui l’entoure.
Les apôtres peuvent nous servir d’exemple dans la réalisation de notre désir : ce sont des hommes qui ne se sont pas contentés de médiocrité dans leur vie, qui ont eu le courage de faire des choix importants et exigeants, en se mettant à la suite de Jésus.
Leur première rencontre avec lui, évoquée dans l’Evangile de ce jour, les a amenés à prendre une décision : ils ont décidé de rester avec Jésus. Ils l’ont fait non plus sur les paroles et les recommandations de Jean-Baptiste mais parce qu’ils ont fait une expérience personnelle de rencontre.
Nous aussi, dans notre formation, nous avons eu peut-être tant de « précurseurs », comme l’était Jean-Baptiste : nos parents, nos chefs et conseillers religieux… Tant de personnes qui nous ont montré Jésus comme modèle à suivre, avec une conviction personnelle, comme l’a fait Jean lorsqu’il a dit : Voici l’agneau de Dieu qui enlève les péchés du monde. Mais aujourd’hui il nous faut faire une expérience personnelle. Notre route, ma route croise celle de Jésus. Il se retourne et il me demande : « Que cherches-tu ? N’erre pas en vain. Viens et suis-moi ».
Ce n’est pas nous qui l’avons trouvé. C’est lui qui s’est donné à trouver, c’est Lui qui insiste. Non seulement il est prêt à nous inviter chez lui, mais c’est lui qui nous cherche, qui veut entrer dans l’intimité de notre maison, de notre cœur : « Voici que je me tiens à la porte et que je frappe. Si quelqu’un entend ma voix et m’ouvre la porte, je viendrai chez lui, je dînerai avec lui et lui avec moi » (Ap 3, 20).
L’album de photos que nous allons réaliser durant cet Eurojam constituera pour nous un précieux souvenir d’une aventure vécue dans la joie et la fraternité. Nous le montrerons à la maison, à l’école, peut-être que dans des années il nous rappellera le visage de nos amis. Les souvenirs des aventures, des compétitions, des découvertes, nous serviront d’inspiration pour les années de notre croissance.
Mais tout ceci serait bien peu si dans cet album il manquait une page centrale, intitulée : « ma rencontre avec le Christ durant l’Eurojam ». En effet, reconnaître le Christ, approfondir la connaissance que nous en avons, le trouver en suivant ses traces et les signes de piste qu’il nous a laissés, constituera le grand jeu le plus beau et le plus important, une chasse au trésor inestimable, la découverte de la perle cachée dans le champ.
Les apôtres, les disciples, les saints hommes et femmes de toutes les époques, tous ceux qui dans leur vie ont accueilli le Christ, nous lancent aujourd’hui une invitation : Venez vous aussi et vous verrez que ça vaut la peine de suivre le Christ, de lier sa vie à la sienne. Nous l’avons fait, nous avons trouvé en Jésus une personne digne de confiance, mais c’est lui qui le premier nous a donné sa confiance en nous invitant chez lui. Cette invitation vaut aussi pour la maison qu’il nous prépare au ciel, en nous garantissant ainsi non seulement une vie belle et pleine de sens ici bas mais surtout une vie éternelle avec lui.
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